facebook youtubeflickr video
don
Avant

KIRGHIZISTAN
LE PAYS DES LÉOPARDS DES NEIGES

Nous arrivons à Bishkek, capitale du Kirghizistan, fin octobre. Ce petit pays d’Asie centrale est réputé pour la beauté de ses paysages montagneux, son lac Issyk-Kul situé à environ 1600 mètres d’altitude, mais aussi pour sa faune sauvage, en particulier les léopards des neiges.

Notre priorité est de rencontrer les différentes organisations travaillant pour la protection du léopard des neiges et de leur proposer nos services en tant qu’écovolontaires.

Nous installons Totoy en centre-ville sur le parking de l’opéra, où nous dormons en toute sécurité. C’est à cet endroit que nous sympathisons avec Oleg qui est intrigué et intéressé par notre véhicule. Il est chauffeur aux Nations Unies, roule en Toyota et connaît très bien la conduite tout-terrain. Le lendemain, un jeune homme vient à notre rencontre, il s’appelle Sanjar, nous discutons avec lui de notre projet et il se propose de nous aider en cas de besoin. Nous lui demandons où nous pouvons recharger nos bouteilles de gaz qui ne sont pas standards en Asie. Il revient vers nous dans la journée et nous emmène en périphérie de la ville pour recharger nos bouteilles. Nous nous arrêtons sur le bord de la route où nous distinguons un camion-citerne derrière lequel nous attend le gazier qui comme d’habitude est surpris par nos bouteilles bleues et constate qu’il n’a pas le raccord souhaité. Mais il semble confiant et sort de sa caisse à outils un rouleau de téflon, un joint en caoutchouc et une bille d’acier. Nous le regardons un peu inquiets et sceptiques, mais après un quart d’heure, de nombreuses manipulations et fuites de gaz, il nous annonce que les deux bouteilles sont pleines. Bien évidemment, on ne parle pas de sécurité ou de principe de précaution comme en France, ici c’est le système D. Sanjar nous explique que cet homme est très expérimenté et qu’il a toujours des solutions pour dépanner les clients. Nous le remercions et lui demandons le prix de la recharge mais il refuse qu’on le paie, nous insistons, et avec l’aide de Sanjar, finissons par le régler.

A notre retour sur le parking de l’Opéra, nous sommes surpris de retrouver Oleg et sa femme Svéta qui nous attendent depuis 1h30 dans leur Toyota et nous invitent dans leur datcha (maison de campagne) au sud de Bishkek. Nous passons une très bonne soirée avec eux et leur fille Anastacia. Le lendemain est consacré à Totoy : vérification générale dans l’atelier d’Oleg, changement d’une biellette de direction, réalisation de bavettes de protection des coffres du pare-choc avant… En parallèle, ils nous font découvrir de délicieux plats kirghizes (Lagman, Plov,…) que nous dégustons avec leur vin blanc fait maison.

Le week-end se termine et Anastacia nous explique qu’il va y avoir de la neige, ce que nous avons du mal à imaginer puisqu’il fait un temps magnifique (15 à 20°C). Le lendemain, le changement est radical puisque nous nous réveillons avec 10cm de neige. Il est vrai que le temps change très vite dans ce pays montagneux.

Nous devons maintenant rencontrer les différentes organisations de protection du léopard des neiges et nous constatons avec étonnement qu’il en existe au minimum 8 et que peu d’entre elles travaillent ensemble. Les rendez-vous se succèdent avec celles que nous avons sélectionnées :

  • Panthera France : organisation française qui travaille en partenariat avec Objectif Sciences International et qui organise de l’éco-tourisme haut de gamme. Nous avons eu un bon contact par mail avec Anne Ouvrard qui est à l’origine du projet mais qui malheureusement, n’est pas présente en automne et en hiver. Elle nous a en revanche conseillés de contacter Bastien qui travaille avec elle et qui était encore sur place à notre arrivée. Nous avons beaucoup échangé avec Bastien qui connaît très bien le terrain et qui nous a donné de nombreux contacts et de précieux conseils pour notre séjour.
  • Panthera trust : association américaine qui se dit « leader » dans la protection des félins. Ils n’ont pas besoin d’écovolontaire, ni de touriste, mais acceptent volontiers les donations. Ils sont présents au Kirghizistan depuis peu, mais se permettent de critiquer le travail d’autres organisations locales. Visiblement, nous n’avons pas frappé à la bonne porte.
  • International Snow Leopard Trust (ISLT) : association également américaine, très active sur le terrain dans l’est du pays et qui impliquent directement les populations locales dans la préservation du léopard des neiges. En effet, ils proposent aux locaux de fabriquer des produits traditionnels qui sont ensuite vendus sur leur site, leur assurant ainsi un revenu. Un bonus de 30% supplémentaire sur les ventes est accordé si les habitants respectent un pacte de préservation du léopard et de ses proies dans une zone déterminée. Les locaux doivent stopper la chasse et surveiller la zone tout en luttant contre toute tentative de braconnage ou de corruption. Un organisme indépendant réalise des contrôles afin de vérifier si le pacte est bien respecté et si c’est le cas, les bonus sont alors versés aux habitants. Le contact avec Kuban et Cholpon a été très bon et nous les avons aidés à trier leur marchandise avant expédition vers les Etats-Unis. Lors de leur prochaine expédition dans les deux villages partenaires du projet, nous les accompagnerons.
  • NABU : Organisation allemande qui finance une partie du centre de réhabilitation du léopard des neiges situé au nord du lac Issyk-Kul et qui travaille activement avec un groupe de rangers spécialement formés pour lutter contre le braconnage, appelés Gruppa Bars, signifiant « groupe de léopards » en russe. Nous rencontrons Tolkunbek, le Directeur de Nabu Kirghizistan, qui nous délivre l’autorisation nous permettant de visiter le centre de réhabilitation et d’aider les rangers même si actuellement il n’y a pas de programme écovolontaire.

C’est suite à l’obtention de cette autorisation que nous prenons la route pour le Lac Issyk-Kul et plus précisément le village d’Ananyevo au nord du lac. Nous empruntons le chemin qui mène à la réserve et sommes stoppés devant une barrière métallique. La nuit commence à tomber et après quelques minutes nous apercevons une silhouette dans la pénombre, il s’agit d’un ranger qui vient à notre rencontre à cheval. L’image est magnifique, nous arrivons dans un autre monde où le cheval remplace la voiture. Nous continuons notre progression vers la montagne et arrivons à un refuge aménagé par les rangers où nous passons la nuit.

Le lendemain nous découvrons une vue splendide sur le lac que nous surplombons. Les montagnes se confondent avec les nuages et semblent directement sortir de l’eau bleutée.

Victor Kulagin, le directeur du centre, est un homme attachant avec un caractère trempé mais le courant passe très bien avec lui dès les premiers instants car Céline lui parle russe ce qu’il apprécie vraiment. Il nous dit que nous sommes des gens extrêmes et que notre façon de voyager et d’approcher les animaux lui plaisent. En fait, il déteste les journalistes qui viennent faire le show et nous donne l’exemple de reporters faisant des prises de vues avec des sacs à dos remplis de plastique, en train d’escalader les rochers à proximité des enclos et raccordant les images afin que l’on pense qu’ils observent des léopards dans la nature. Les exemples se succèdent et ne manquent pas, nous rigolons bien jusqu’au moment où il nous dit froidement : « maintenant vous êtes chez vous et vous pouvez rester le temps que vous voulez au centre ».

Nous nous proposons d’aider les rangers dans leurs tâches quotidiennes et de réaliser un film sur leur travail. Les journées se succèdent les groupes de rangers aussi, mais leur gentillesse, leur sens de l’accueil et du partage nous touchent vraiment. Nous vivons avec eux et comme eux, ce qui nous permet de créer des liens et d’avoir une vision réelle du terrain. En effet, ce sont eux qui connaissent le mieux la région et les animaux qui y vivent et pourtant leur travail n’est pas souvent mis en avant dans les reportages.

Nous vous invitons à regarder ce film que nous avons réalisé avec eux et c’est d’ailleurs un des rangers, Maxime, avec qui nous avons enregistré la voix off en russe. Nous avons décidé tous ensemble de ne pas montrer d’images de la mise à mort des ânes qui constituent la nourriture des léopards et des autres animaux du centre afin de ne pas choquer les plus sensibles. Mais cela fait partie du travail des rangers qui effectuent cette tâche avec une rapidité et une précision incroyable.

Vous ne verrez pas non plus Céline capturant des souris dans notre « hôtel particulier », qui en était infesté, et les offrir avec un grand sourire à notre voisin le lynx. En fait, nous avions des souris qui ne craignaient pas l’homme puisqu’un soir une d’entre elles s’est glissée sous mon pantalon jusqu’au niveau du genou lorsque j’ai essayé de l’attraper. Il n’était pas rare que l’on soit réveillé lorsqu’elles passaient sur nous dans la nuit.

Après 3 semaines passées au centre, nous prenons la direction de Karakol afin de rencontrer Nazgul qui est en charge, au sein des Nations Unies, de la création d’une nouvelle zone protégée dans l’est du pays. Le projet est d’envergure et très difficile à mener car de nombreux conflits éclatent entre les sociétés de chasse, les habitants de la zone, les entreprises qui exploitent les minerais et la chine qui souhaite construire un barrage. Nous lui expliquons notre projet et lui présentons nos différentes vidéos qu’elle regarde avec intérêt et commente avec sa collaboratrice, Zhyldyz. Elle nous demande alors si nous serions en mesure de réaliser un film de promotion de cette nouvelle zone protégée afin de communiquer sur l’utilité de ce projet auprès des autorités, des habitants, des écoles. Son idée est que l’on se rende dans les différentes réserves du pays afin de filmer les paysages, les animaux et le travail des rangers. Nous sommes très agréablement surpris et réalisons que sa proposition est une véritable opportunité nous permettant de travailler avec l’ensemble des réserves sur un projet national très important pour la préservation du léopard des neiges et de la biodiversité du pays. Nazgul nous indique qu’elle nous délivrera les documents nécessaires à l’obtention d’un visa de 6 mois renouvelable afin que l’on puisse travailler sereinement en hiver et surtout au printemps, car la future zone protégée est totalement isolée du monde pendant l’hiver. En effet, c’est dans cette zone que se situe le point culminant du pays à environ 7 439 mètres d’altitude.

Nous rencontrons ensuite le directeur de la réserve de Karakol qui nous propose de partir avec son équipe sur un comptage d’argali et d’ibex. Nous décidons donc de les suivre avec Totoy, mais trouvons rapidement les limites de nos pneus non adaptés à la neige. En effet, nous empruntons une piste de montagne avec selon les endroits 50cm à 1 mètre de neige. Les rangers sont équipés de pneus neige et de chaînes, de notre côté c’est l’enfer dès la première grande montée et ce que nous leurs avions déjà expliqué se confirme, nous devons nous équiper de chaînes et tenter l’expérience ultérieurement. La plupart des personnes qui voient notre Totoy pense qu’avec nos Pneu MUD nous pouvons aller partout et nous devons alors leur expliquer que ce sont des pneus prévus pour les terrains gras comme leur nom l’indique. Finalement les rangers mettront 7 heures pour parcourir 15 kms et dormir sous la tente à -11°C, solides les garçons…

Nous ne trouvons pas de chaînes à Karakol, mais de toute façon nous devons repartir à Bishkek pour participer à un salon dédié au volontariat, mais aussi pour revoir nos différents contacts et réaliser les démarches d’obtention de notre visa. Oleg, Sveta et Anastacia nous réservent à nouveau un superbe accueil en nous préparant des "Самсы" (petits triangles feuilletés fourrés à la viande et aux oignons) et le sauna que nous prépare Oleg nous fait un bien fou. C’est toujours un grand plaisir de partager un moment avec eux et ils nous disent qu’on peut rester à nouveau chez eux tant que nous sommes à Bishkek. Nous ne les remercierons jamais assez pour leur générosité et pour le soutien qu’ils nous apportent au quotidien.

Nous profitons de notre retour à la capitale pour présenter notre vidéo sur les léopards des neiges à l’équipe de Nabu et plus particulièrement à Tolkunbek, le directeur qui nous accueille à bras ouvert et fait même la bise à Céline, ce qui n’est pas vraiment une coutume locale. Il nous remercie pour le travail que nous avons effectué au centre et pour la réalisation du film qu’il souhaite traduire en Kirghize afin de le présenter dans les écoles. Il nous demande alors quel est notre programme pour la fin de l’année et à notre grande surprise, nous propose de suivre pendant 8 jours la fameuse équipe de rangers spécialisée dans la lutte contre le braconnage : les Gruppa Bars. La fin de l’année s’annonce bien et de nouvelles aventures nous attendent.

Un hiver au Kirghizistan

Après avoir passé le mois de janvier à Bichkek où nous avons travaillé sur notre dernier film « Sur les traces de l’ours de Gobi », il est temps pour nous de reprendre la route. En effet, nous voulons visiter des réserves en hiver, même si c’est une période où les rangers ne sont pas actifs car il y a trop de neige et qu’il est très difficile d’accéder aux montagnes, même avec les chevaux. Nous ne tenons plus en place et notre décision est prise, nous voulons nous rendre dans la réserve de Sary-Chelek au sud-ouest de Bichkek. Mais nous devons retarder de deux jours notre départ, car à la dernière minute nous réalisons deux interviews télé. La première pour une chaîne câblée qui réalise un programme quotidien intitulé « J’aime Bichkek », la seconde pour la chaîne nationale NTS qui nous invite dans le « télématin Kirghize ». Ce sont toujours des expériences très intéressantes et les journalistes des deux chaînes souhaitent nous revoir à notre retour à Bichkek en mars.

Lorsque nous prenons la route à l’aube, la capitale est plongée dans ce qui semble être un brouillard qui persiste pendant les 60 kms où nous longeons la frontière Kazakhe. Nous bifurquons ensuite vers le sud en direction des montagnes et découvrons alors un ciel bleu et un soleil magnifique. Nous comprenons alors que ce brouillard n’était en fait qu’un immense nuage de pollution et de fumée car les habitants se chauffent principalement au charbon et le trafic dans cette zone est intense.

Enfin nous retrouvons le côté sauvage du pays et nous montons très rapidement en altitude et commençons à apercevoir les sommets enneigés. Nous arrivons finalement au premier col à environ 3300m, qui est en fait un tunnel. Il est 10H00 et de nombreux camions et voitures sont stoppés car il y a une intervention technique. Après une demi-heure d’attente, les véhicules repartent et ce que nous découvrons à la sortie de ce tunnel est un paysage à couper le souffle, des chaînes de montagnes à perte de vue et en contre-bas, un haut plateau immense maculé de blanc sous un léger voile de brume qui se dissipe au fur et à mesure que le soleil monte. La route est très glissante car il y a eu beaucoup de neige ces derniers jours. Nous engageons la première piste qui s’offre à nous afin de profiter au maximum de ce paysage incroyable et finalement nous déjeunons sur cette piste qui mène à une petite station de ski qui semble fermée.

Nous descendons ensuite sur ce haut plateau où il n’existe qu’un petit village autour duquel des chevaux, avec de la neige jusqu’au ventre, tentent en grattant le sol avec leur patte, de brouter un peu d’herbe. Nous parcourons environ 100 kms dans ce désert de neige et de glace avant d’amorcer une descente interminable vers la ville de Toktogul et son fameux réservoir alimenté par la rivière Naryn. C’est ici que plusieurs barrages permettent de produire de l’électricité. Malheureusement pour nous la neige est partout et il n’y a aucune possibilité de bivouaquer autour du réservoir. Nous décidons de passer un nouveau col avant d’arriver à Karakool où nous trouvons une piste qui monte vers les montagnes avec une vue imprenable sur la ville. Il y a 30cm de neige et le froid est glacial, mais une petite demi-heure du Webasto à Mendes réchauffe Totoy ce qui nous permet d’emmagasiner un peu de chaleur pour la nuit.

Au réveil, une pellicule de givre blanc recouvre les vitres et les parties métalliques à l’intérieur du véhicule, il fait -3°C et il va falloir s’armer de courage pour s’habiller dehors. C’est toujours la petite minute difficile avant d’attaquer la journée. Nous prenons ensuite contact avec le directeur adjoint de la réserve de Sary-Chelek pour savoir s’il est possible de le rencontrer avant de nous rendre au fameux lac situé à 1873m. Il est catégorique, il y a trop de neige et même les rangers ne peuvent pas y accéder à cheval. Cela ne nous arrête pas et nous décidons d’aller voir sur place la situation. Nous sommes accueillis par le directeur adjoint Akynaly qui nous propose de passer la nuit à l’hôtel, on lui explique alors qu’une place de parking nous suffira, il est un peu étonné et nous invite à prendre le thé chez lui le soir même. Ici quand on vous invite à boire le thé, il s’agit en fait d’un repas avec bien sûr du thé, mais également du pain, du beurre, de la confiture, parfois de la purée de tomate et d’ail et dans la région de Sary-Chelek des noix. C’est en effet à Sary-Chelek et Arslanbob que l’on trouve des forêts de noyers et elles sont délicieuses.

Le lendemain nous mettons nos tenues d’hiver pour partir en direction du lac d’altitude, les villageois sont surpris et nous demandent pourquoi nous ne venons pas en été car en hiver ils ne voient jamais de touristes. Les 30 à 50 cm de neige molle nous rendent la progression très difficile, mais nous suivons la trace d’un skidoo qui a un peu tassé la neige. Nous réussissons finalement à parcourir 10 kms dans un décor splendide sous un soleil magnifique mais à l’évidence nous manquons de temps pour atteindre le lac, nous devons donc revenir au village. A notre retour Akynaly nous attend et nous propose à nouveau de prendre le thé et d’effectuer un débriefing de notre journée. Il nous informe alors que le Directeur souhaite qu’on l’on suive une équipe de rangers dès le lendemain, avec des chevaux pour débuter l’ascension avant de terminer le parcours à pied et de passer la nuit au bord du lac dans un refuge. Nous sommes ravis de cette opportunité et nous nous donnons rendez-vous à 7H00 au centre du village avec 4 rangers. Nous sommes à l’heure au rendez-vous mais le village est totalement silencieux et nous ne voyons personne avec des chevaux aux alentours du point de rendez-vous. Après une petite demi-heure et un coup de téléphone passé à Akynaly nous voyons venir vers nous l’équipe de rangers accompagnée d’enfants qui ramèneront les chevaux, mais nous ne voyons pas de chevaux pour nous. Nous essayons de leur expliquer que nous avons besoin de chevaux, mais il parle à peine russe et nous font comprendre que nous devons les suivre à pieds. Nous commençons à élever le ton, nous leur passons Akynaly au téléphone, mais rien n’y fait ils partent comme des fusées et nous laissent en plan avec notre sac à dos, et tout notre matériel photo. Nous sommes sidérés de leur comportement, d’autant plus que nous devions les suivre pour filmer leur travail. Voici l’autre face du pays, celui dont nous n’avions pas encore parlé, le comportement des Kirghizes… Ici laisser une femme à pieds avec un sac à dos pour parcourir 16kms dans la montagne alors que les hommes sont à cheval ne pose de problème à personne, mais il est vrai que les femmes n’ont pas à aller dans la montagne, car elles sont mieux à la maison pendant que leurs hommes boivent de la vodka au bord du lac.

Mais bon face à la connerie, nous ripostons par la détermination et nous décidons de parcourir ces 16 kms à pieds, le temps est magnifique et nous voulons vraiment voir ce lac en hiver. L’ascension est interminable, les 20 kms de la veille se ressentent et nos sacs à dos nous semblent de plus en plus lourds, mais nous en prenons plein la vue. L’arrivée sur le lac complètement gelé est un instant magique qui nous fait oublier les efforts que nous avons dû déployer pour arriver jusqu’ici. Nous profitons donc de la glace pour nous balader sur le lac et nous retrouvons finalement les rangers en plein travail. Car le travail pour eux n’est pas de dégager la neige qui entoure le refuge ou de monter sur les crêtes pour observer la faune, mais plutôt de pêcher tranquillement en fumant des cigarettes en laissant bien entendu le paquet vide sur la glace, comme leur bouteille de vodka d’ailleurs. Cela fera sans doute de la nourriture pour les poissons au printemps prochain. Des véritables abrutis et le mot est faible, car nous les retrouvons le soir au gite, où ils nous demandent comment nous sommes venus, il faut rester calme et la soirée va être longue. Un d’entre eux avec une belle barbe blanche nous indique que les français et les allemands sont responsables de la guerre en Ukraine, nous lui expliquons alors qu’il y a beaucoup de corruption au Kirghizistan et que nous ne le rendons pas responsable des dérives de son pays. Puis il nous indique ce qu’il sait de la France, à savoir qu’il y a des homosexuels partout et que c’est à cause de notre président. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois qu’on nous parle de ce sujet en Asie centrale. Il commence sérieusement à nous emmerder et nous lui tendons un téléphone afin qu’il explique directement son point de vue à François Hollande. Les autres rangers sont gênés et calment le jeu en lui disant d’arrêter de dire n’importe quoi. Il y a un gros blanc puis il change alors de sujet en nous demandant si nous avons des enfants, ce à quoi nous répondons que non, puisqu’en France nous sommes tous homosexuels, les autres rangers se foutent de lui et finalement il change de comportement et il est à nos petits soins tout le reste de la soirée, « un peu de pain, du poisson, allez reprenez de la soupe ». Nous sommes toujours très diplomates mais parfois il faut brusquer les gens et prendre le dessus pour être respectés, nous comprenons que le niveau d’éducation peut parfois être faible et que nous sommes peut-être tombés sur l’idiot du village. Nous finissons par nous coucher mais avons donc droit à la prière du soir avec la gymnastique comme nous l’indique en rigolant les rangers non pratiquants. Le lendemain matin, réveil à 5H30, notre ami sort pour pousser des vocalises dehors et casse le silence qui règne autour du lac, on n’est pas prêt d’apercevoir des animaux dans les environs après sa petite prière, mais heureusement il n’a pas de haut-parleur, business en plein développement avec toutes ces nouvelles mosquées qui fleurissent même dans les villages les plus reculés. Il est vrai que depuis la chute de l’URSS la religion musulmane tente de reprendre sa place dans le pays, mais tous les kirghizes ne sont pas pratiquants et les mosquées ont du mal à se remplir. Nous reprenons la piste alors que la neige arrive, nous ne devons pas perdre de temps pour rejoindre le village. Nous passons une très bonne soirée avec Akynaly et sa famille ce qui contraste vraiment avec notre expérience de la veille. Akynaly nous explique qu’il se bat pour améliorer les choses dans la réserve afin notamment que les rangers soient exemplaires sur la protection de l’environnement et fassent la chasse aux déchets, mais le combat est difficile et long.

Nous reprenons la route pour la réserve Dashman où nous rencontrons Latchin qui travaille pour la société de tourisme « Community Based Tourism » et qui est très actif sur le terrain, notamment avec les locaux pour la protection de l’environnement. Il nous explique qu’il organise par exemple des journées de nettoyage de la nature où des groupes ramassent les déchets et les recyclent ou les brûlent selon s’il s’agit de verre ou de plastique. Nous partons ensuite vers la montagne pour admirer une chute d’eau en altitude. La progression dans la neige est encore plus difficile qu’à Sary-Chelek et nous traversons des zones où il y au minimum 1 mètre de neige. Après 2 heures de marche pour parcourir les 5kms qui nous séparent de la chute d’eau, nous atteignons enfin notre but et nos efforts sont récompensés par un rayon de soleil qui apparaît au moment où nous réalisons notre prise de vue de la cascade.

A notre retour au village, le spectacle est désolant, des dizaines de papiers de bonbons jonchent le sol autour de Totoy qui visiblement a été l’attraction du jour… Latchin a encore du boulot pour changer les mentalités et il peut multiplier les journées de nettoyage. Nous lui avons demandé ensuite par mail si les Imams le soutenaient dans son combat pour la préservation de l’environnement, mais nous attendons toujours sa réponse.

Nous prenons maintenant la direction d’Osh, qui est la deuxième ville du pays, mais avant cela nous faisons une courte pose à Djalal-Abad, où l’on peut trouver tout ce dont nous avons besoin et où nous dégustons, un lagman dans une petite cantine en périphérie de la ville. Le cuisinier prépare les spaghettis sous nos yeux et les allongent en les frappant sur le plan de travail métallique. Il part d’un diamètre d’environ 1 cm pour arriver à 2-3mm. Nous rigolons ensemble en voyant l’état de la cuisine qui, en France, serait fermée à la première inspection sanitaire, mais le repas est excellent. Depuis notre départ nous avons mangé de tout, dans toutes les conditions et souvent avec les mains. En effet, en Asie centrale il est normal de vous proposer du pain où autres aliments de la main à la main, et nous en avons vu des mains sales, mais nous avons surement de bons anticorps ou un estomac tout terrain car pour le moment on croise les doigts pour que cela dure, mais nous n’avons jamais été malades.

Avant d’arriver à Osh nous apercevons sur une plaine immense, ce qui semble être un rassemblement de cavaliers. Notre curiosité nous oblige à nous arrêter pour comprendre à quoi correspond ce regroupement. En effet, en nous approchant nous découvrons un spectacle surprenant, les cavaliers et leurs montures forment une masse compacte d’où sorte des cris et des hennissements, les chevaux se cabrent et les cavaliers se bousculent violement. Nous nous apercevons très vite qu’il n’y a que des hommes et certains spectateurs sont étonnés de la présence de Céline qui reste un peu à l’écart de cet attroupement. De mon côté, je m’approche à une dizaine de mètre pour filmer et surtout comprendre quel est le but de ce jeu étrange, quand tout à coup le groupe s’éclate et en quelques secondes je vois l’ensemble des cavaliers venir vers moi. Ils sont dans le jeu et ne semblent pas me voir, j’ai juste le temps de prendre le trépied et l’appareil photo et de m’écarter pour ne pas être piétiné par cette foule en furie. En observant plus longuement la scène nous comprenons qu’un des cavaliers tient une peau de mouton que les autres cavaliers doivent lui subtiliser par tous les moyens. Les échanges sont brutaux et les chevaux sont trempés, la bave aux lèvres. Nous assistons à une chute spectaculaire d’un concurrent lors d’une course poursuite sur la plaine. C’est très impressionnant car le terrain de jeu n’a pas de limites et les cavaliers n’hésitent pas à monter sur le talus ou sont massés les spectateurs qui doivent s’écarter au plus vite pour ne pas être bousculés. Ce jeu que nous avons découvert au hasard de notre périple est une tradition d’Asie centrale que l’on appelle au Kirghizistan le « Kökpar » et dont il existe plusieurs variantes.

Après toutes ces émotions fortes, nous devons trouver un bivouac à la périphérie d’Osh et c’est finalement dans un lotissement au milieu des maisons en construction que nous décidons de nous poser pour la nuit. Nous rencontrons un habitant de la zone qui nous indique un emplacement où nous serons au calme.

Dès notre réveil, nous sommes invités par notre voisin d’un jour à prendre le thé. Nous sommes très bien accueillis et le petit déjeuner est un véritable festin. Nous avons droit à la soupe de légumes, à plusieurs cafés et thés, aux petits gâteaux sucrés et bien sûr au pain et à la confiture. Contrairement à d’autres pays comme le Kazakhstan, la Russie ou la Mongolie, les Kirghizes savent faire du bon pain et c’est un aliment très économique (0,30€ par pain) permettant même aux plus pauvres de faire un repas consistant. Nous regardons avec lui et sa femme le film sur les léopards des neiges car comme la plupart des Kirghizes ils connaissent cet animal mythique, mais n’en n’ont jamais vu.

La ville d’Osh bénéficie d’un climat plus doux qu’à Bichkek, plusieurs monts se dressent au milieu de la ville et les montagnes forment une barrière naturelle au sud alors qu’au nord des plaines s’étendent jusqu’à l’Ouzbékistan qui se trouve à quelques kilomètres. On nous avait mis en garde sur la conduite à Osh, mais finalement le trafic y est fluide et les conducteurs moins dangereux qu’à Bichkek où les feux ne sont pas respectés et où il n’est pas rare de voir des conducteurs remonter des files de voitures à contre sens. Nous passons un très bon moment en flânant dans la ville et son bazar tout en profitant de températures presque estivales en ce mois de février. Nous restons deux jours à Osh, ce qui pour nous est suffisant pour découvrir la ville, il est vrai que nous n’affectionnons pas vraiment les grandes villes et sommes déjà impatients de repartir vers les montagnes.

Nous sommes maintenant contraints de revenir sur nos pas au moins jusqu’à Djalal-Abad car il n’existe qu’une seule route. Mais nous avons une idée en tête, couper à travers le pays vers la réserve de Naryn. Nous savons qu’il existe une route avec un passage de col, mais à notre arrivée à Djalal-Abad ce que nous craignions se confirme, la route est fermée car le col est totalement bloqué par la neige. Le Kirghizistan est un pays où les montagnes dictent les règles et où l’homme doit s’adapter à ces reliefs et surtout aux éléments comme la neige et la glace. Nous n’avons plus le choix, nous devons remonter vers le nord et emprunter une autre route pour éviter de repasser à Bichkek afin de rejoindre la lac Issyk-Koul à l’est du pays. Ce n’est vraiment pas notre journée, car une forte pluie et un brouillard épais nous accompagnent sur la route. Nous nous mettons à la recherche d’un emplacement pour dormir et nous trouvons l’endroit idéal juste avant la tombée de la nuit. Une station-service avec un hangar immense qui nous permet de mettre également Totoy à l’abri de la pluie. Nous discutons avec un des pompistes qui est très sympathique et qui après quelques instants nous dis qu’il nous a vus à la télé une semaine plus tôt.

Il a plu toute la nuit, mais heureusement le climat étant plus doux qu’au nord, il n’y a pas de neige à notre réveil, mais un soleil magnifique. Notre pompiste revient nous voir avec son appareil photo et nous propose de passer la nuit suivante dans sa maison à 14kms de la station. Nous lui indiquons que nous sommes très touchés par sa proposition mais que nous devons continuer notre route vers le nord. Nous faisons des photos et des vidéos avec toute son équipe, il vérifie si nous avons le plein car il veut nous offrir du carburant, mais nos deux réservoirs sont pleins. Il nous retient un peu le temps de faire le plein de bonbons, de gâteaux et de boisson, pour ne pas faire la route le ventre vide, comme il nous dit. Nous leur donnons rendez-vous au printemps si nous avons l’occasion de revenir dans la région.

Au fur et à mesure que nous remontons vers le nord, nous trouvons de la neige et le col qui mène sur le haut plateau est difficilement praticable, malgré les efforts de la « DDE » locale qui se bat en permanence pour que les camions puissent emprunter cette route principale qui mène à la capitale. Nous passons sans trop de difficulté avec Totoy et par chance il ne neige pas sur le haut plateau ce qui nous rend la progression plus facile, même si la route est totalement verglacée. Les camions qui passent avec des chaînes créent comme des rainures sur le verglas ce qui nous permet à faible vitesse d’avoir un peu d’adhérence. Car comme dirait notre ami FiFi Simonin on n’est pas sûr de pouvoir acheter un peu d’adhérence dans le prochain petit village. Nous arrivons enfin à la bifurcation qui permet de rejoindre le Lac Issyk-Koul sans passer par Bichkek et la piste semble praticable. Cette route secondaire est peu empruntée et nous avons l’impression de rouler sur un immense tapis de neige où même avec les lunettes de soleil, nous avons du mal à distinguer la piste. Nous arrivons ensuite dans des gorges où nous pouvons observer le balai des vautours de l’Himalaya qui tournent au-dessus des montagnes dont les couleurs varient du rose à l’ocre. Notre progression est lente mais nous arrivons à rejoindre un village où nous pourrons nous ravitailler et trouver un emplacement pour dormir. Le principal problème dans le centre du pays est le froid glacial et l’épais manteau neigeux qui recouvre toute les zones où nous bivouaquons d’habitude. Nous trouvons finalement une piste où le passage des animaux domestiques a tassé la neige, ce qui est parfait pour nous poser. Il fait tellement froid que nous avons du mal à faire chauffer l’eau à l’arrière du véhicule et nous profitons que le moteur soit encore chaud pour mettre en route notre Webasto, mais nous ne voulons pas le faire tourner plus d’une heure. Nous sommes maintenant couchés et quand le chauffage se coupe nous comprenons que cette nuit va être la plus froide que nous avons vécue depuis notre départ de la France.

Le jour arrive finalement et nous sommes encore blottis l’un contre l’autre, c’est finalement comme cela que nous avons pu garder suffisamment de chaleur durant cette nuit glaciale, où le thermomètre indiquait -5°C à notre réveil dans la voiture. Nous ne déjeunons même pas car il fait trop froid et après quelques minutes dehors nous ne sentons plus nos mains et nos pieds, il faut que l’on roule au plus vite pour dégivrer Totoy et attendre que le soleil monte un peu pour réchauffer l’atmosphère. Nous sommes à 70kms au nord du lac Song-Koul qui est au milieu d’une réserve naturelle réputée pour ses oiseaux aquatiques. Nous engageons la piste sur laquelle nous croisons de nombreux camions transportant du charbon. Après une quarantaine de kilomètres nous arrivons dans une mine de charbon, la piste continue vers un col mais il n’y a plus aucune trace de passage. Nous engageons tout de même le chemin et comprenons très rapidement pourquoi personne ne s’aventure dans cette zone à cette période. Une plaque de glace barre le passage sur une longueur d’environ 30 mètres et en plus elle est en dévers. Il s’agit d’une petite source qui traverse la piste sans poser de problème au printemps et en été, mais en hiver ce petit court d’eau devient une large et épaisse couche de glace. Nous évaluons rapidement les risques et décidons de tenter la traversée en mettant les chaînes, mais le danger est que Totoy parte en glissade dans le léger dévers. Au fur et à mesure que nous avançons, nous entendons la glace craquer sous les chaînes, c’est bon signe nous continuons, mais nous sommes vraiment soulagés que lorsque nous remettons nos roues sur la terre. Nous passons quatre autres plaques de verglas avant d’arriver dans 50 cm de neige au sommet et nous sommes contraints de dégager la neige avec la pelle pour continuer à progresser. Après plusieurs heures et les traces d’un loup sur le bas-côté, nous arrivons enfin au col et découvrons le lac Song-Koul complètement prisonnier de la glace. Nous sommes à une vingtaine de kilomètres du but, mais le temps est en train de changer, le vent monte et le ciel se voile, la neige va arriver dans moins d’une heure. Nous sommes seuls sur cette piste à plus de 3000m d’altitude, et de l’autre côté du col la neige forme des congères de plus d’un mètre de haut, nous nous rendons à l’évidence il serait trop difficile et dangereux de continuer dans ces conditions. Maintenant nous devons revenir arrière, la descente est plus facile puisque que nous suivons les traces que nous avons déjà faites, les passages des plaques de glaces sont toujours délicats, mais nous rejoignons la mine et retrouvons une piste bien dégagée.

Nous avons encore en tête notre nuit glaciale dans la région et nous voulons absolument nous rapprocher du lac Issyk-Koul où les températures sont plus douces. La route ou plutôt la piste qui est complétement défoncée par le passage des camions de charbon est interminable. Nous roulons tantôt dans une boue de terre et de charbon tantôt sur de la neige tassée, mais pas de difficulté particulière. Nous nous mettons donc en deux roues motrices, c’est toujours plus économique. Nous roulons lentement et d’ailleurs heureusement car en plein ligne droite je sens tout à coup l’arrière du véhicule partir sur la droite, je ralentis aussitôt pour tenter de le remettre en ligne, un peu de volant il repart à gauche, un autre coup de volant, il part en tête à queue les secondes sont très longues dans ce genre de situation, mais il finit par s’arrêter de glisser. On se regarde tous les deux, ouf nous sommes encore sur la piste et nous n’avons croisé aucun véhicule. Nous savons tous les deux où est notre erreur, mais nous n’imaginions pas trouver une plaque de verglas sur cette piste où la boue se mélangeait avec la neige. Nous repartons en 4 roues motrices cette fois-ci et bivouaquons dans une ancienne usine désaffectée à proximité du lac Issyk-Koul.

Lorsque nous approchons de cette zone, les contrôles de police sont plus fréquents, nous y avons donc droit et tous les moyens sont bons pour nous demander de l’argent. Aujourd’hui il s’agit des phares que nous n’avons pas allumés. Nous rentrons dans le poste de police énervés et leur expliquons que nous avons parcouru une grande partie du territoire et que la plupart des véhicules ne sont pas allumés y compris ceux de la police. Ils nous sortent le code de la route, nous nous emportons et leur demandons de nous rendre nos papiers car nous souhaitons reprendre la route. Le policier est surpris et n’insiste pas, il nous laisse repartir en marmonnant dans ces moustaches. Les policiers sont très souvent corrompus et Oleg nous a expliqué qu’il ne fallait pas hésiter à les secouer un peu où leur dire qu’il s’agissait d’une tentative de corruption pour qu’ils nous laissent tranquilles. Nous avons un petit truc avec Oleg, nous nous sommes mis d’accord, si nous l’appelons lors d’un contrôle il répond au policier en expliquant qu’il travaille pour l’ambassade de France. Mais nous avons testé une autre solution lorsqu’un policier nous indiquait que nous étions en excès de vitesse, ce qui n’était pas le cas. Nous avons filmé avec la caméra l’ensemble de la scène et c’est très drôle car le policier ne quitte pas la caméra des yeux et son chef le radar sur les genoux ne nous parle plus d’excès de vitesse, mais nous souhaite avec un grand sourire un bon séjour au Kirghizistan, souriez, vous êtes filmés… Nous ne comprenions pas pourquoi les policiers nous serraient la main lors des contrôles, nous avons eu la réponse par notre ami Slava, qui lorsqu’il se fait arrêter pour un excès de vitesse par exemple, glisse directement un billet dans la main du policier qui le laisse repartir après un simple contrôle de papier.

En reprenant la route nous faisons une halte pour nous préparer un café et sommes alertés par un grognement, mais nous ne voyons pas d’animal à côté de Totoy. Nous marchons sur une centaine de mètre et découvrons un chien couché sur le bas-côté. Il s’agit très probablement d’un chien de berger qui a été bousculé par une voiture car son train arrière est paralysé. Le spectacle est terrible, car il a les flans creusés et il va mourir d’épuisement ou de faim. Nous nous approchons prudemment pour lui donner quelques biscuits, qu’il mange lentement puis il ferme les yeux. Notre geste ne sert à rien, mais que faire ? Dans ce genre de situation nous sommes désemparés car il est condamné, nous ne pouvons pas le soigner et nous n’avons rien pour l’euthanasier afin d’abréger ses souffrances. Nous imaginons qu’il va s’endormir et qu’avec le froid il ne se réveillera pas. Il n’y a pas de ferme aux alentours, nous sommes dans une zone semi désertique que nous appelons le « Sahara Kirghize ».

Il y a en effet, une zone très particulière qui se situe à l’ouest du lac Issyk-Koul où la neige est quasi inexistante. C’est dans cette région que les oiseaux migrateurs viennent passer l’hiver au bord du lac qui ne gèle pas car il est légèrement salé ; nous y retrouvons entre autres les cygnes sauvages que nous avions observés en Carélie (Russie). Nous bivouaquons dans une aire marécageuse où nous pouvons les observer tranquillement. Enfin c’est ce que nous croyons, car après une petite heure, deux jeunes garçons bien alcoolisés viennent nous demander de l’aide, leur véhicule est en panne un peu plus loin. L’un des deux a une guitare à la main et veut qu’on le filme alors que l’autre nous crie dans les oreilles pour qu’on parte tout de suite le dépanner. Nous les remettons en place sans ménagement et leur disons que nous ne sommes pas à leur service, qu’ils peuvent nous demander de l’aide poliment. Nous partons les dépanner un peu plus tard, après avoir rangé notre matériel. Nous parcourons 1 km et tombons sur le reste de la bande autour d’un vieux camion benne stoppé sur la piste. Ils sont bien chargés et nous expliquent que leur ferme est à environ 1 km. Nous les remorquons donc et à notre arrivée à la ferme, nous sommes les héros du jour et nous ne pouvons pas refuser le thé et le repas qui l’accompagne. Nous comprenons qu’il s’agit de l’anniversaire du fils du propriétaire de la ferme, qui travaille à Bichkek. L‘ambiance est festive, enfin pour nous et les garçons, car les deux petites sœurs de notre hôte qui n’ont pas plus de 7 ans vont chercher l’eau et le bois, préparent le repas et bien sûr elles n’ont pas leur place autour de la table. Ce n’est pas la première fois que dans le pays on voit ce genre de situation où les jeunes filles sont les bonnes à tout faire de la maison. C’est triste de voir le regard triste de ces gamines dont l’avenir est tout tracé. Les garçons nous expliquent qu’ils veulent tous avoir beaucoup d’enfants car ils veulent que leur peuple soit fort et qu’ils aient plus de poids dans le monde. Il n’est pas rare de voir des familles de 10 enfants, certains nous expliquent même que c’est un cadeau de Allah… Enfin « Allah » cuisine pour les filles et « Allah » péro pour les garçons. Nous qui sommes athées, Dieu merci, nous ne sommes pas mécontents de quitter cette petite bande de joyeux fêtards pour retrouver notre place auprès des cygnes chanteurs, qui comme leur nom l’indique, chantent tout le temps, même la nuit…

Nous continuons notre route dès le lendemain pour visiter un canyon magnifique sous un soleil radieux et des températures enfin supportables. Nous passons deux nuits sur une plage du lac Issyk-Koul où nous faisons un feu de camp, les jours rallongent et l’on se croirait presque déjà au printemps. De l’autre côté du lac se trouve notre prochaine escale, le centre de réhabilitation des léopards des neiges où nous avons déjà passé 3 semaines en novembre et sommes attendus par l’équipe de rangers. En arrivant au centre, ils nous réservent un accueil extraordinaire, Daniar nous attend à la barrière, il est descendu à cheval pour nous ouvrir pendant qu’Alexis nettoie le petit gite où il a déjà allumé le feu pour la nuit. Nous dînons avec eux, nous sommes heureux de les revoir et de passer une bonne soirée en leur compagnie. Avant de regagner notre gite, ils nous offrent un chapeau et un foulard traditionnel Kirghize.

Le lendemain nous découvrons que l’une de nos idées est en train de prendre forme. Dans notre film on voit clairement qu’un lynx se trouve dans trois volières juxtaposées prévues à l’origine pour des oiseaux et légèrement modifiées pour l’accueillir. Nous avions évoqué avec Victor Kulagin la possibilité de transférer le lynx dans l’ancienne volière des léopards des neiges. Victor nous avait expliqué à l’époque que c’était envisageable à condition de placer un grillage pour éviter qu’il puisse s’échapper à travers les barreaux.

Depuis notre départ l’idée a donc fait son chemin, puisque nous découvrons que le grillage est en place et que le transfert va se faire dans les prochains jours. Nous discutons avec Sergei Kulagin qui a pris en main le projet afin de programmer les derniers aménagements avant le transfert. Nous réalisons tout d’abord avec lui une nouvelle niche de plus grande taille, amenons des cailloux pour former un petit promontoire et récupérons une ancienne mangeoire que nous modifions pour réaliser une sorte de banc. Le lynx, comme tous les félins, aime prendre de la hauteur pour observer son environnement. Ici c’est le système D et tout est de la récupération car le bois est rare et les budgets limités, même les clous rouillés que nous redressons sur le muret proviennent d’une ancienne barrière. Finalement quand on n’a pas grand-chose sous la main c’est l’imagination qui nous permet d’avancer.

Une semaine plus tard le grand jour est enfin arrivé et le soleil est de la partie, dans quelques minutes notre lynx va découvrir son nouvel environnement. Tout va très vite, car il rentre en quelques secondes dans la cage, comme s’il voulait quitter cette volière trop petite où il a déjà passé trop de temps. Les rangers placent la cage dans le nouvel enclos et ouvrent la porte grillagée d’où le lynx sort avec une rapidité incroyable. Nous nous éloignons tous afin de limiter son stress et de le laisser tranquillement prendre possession des lieux.

Nous aimons vraiment passer du temps dans ce centre, nous y sommes totalement isolés du monde extérieur, le soleil rythme notre vie comme celle des animaux. Tous les soirs, allumer le feu dans le poêle est un confort incroyable et l’éclairage à la bougie apporte une chaleur supplémentaire dans notre petit gite. Mais ce soir, nous venons à peine de démarrer le feu qu’Alexis arrive un peu nerveux et nous demande de l’aider, car Daniar est au lit avec une fièvre terrible. Céline rentre les derniers ânes dans l’étable et je le suis en direction des montagnes alors que la nuit est en train de tomber. Il m’explique qu’un des ânes est bloqué là-haut et que nous devons tenter de le ramener au plus vite. Alexis monte avec son cheval et je trottine derrière pour bien repérer les pièges à éviter sur le sentier, son cheval connaît le coin sur le bout des sabots. Nous arrivons finalement dans une faille étroite où coule un petit ruisseau où nous trouvons notre âne couché sur le flan. Dans cette zone très pentue, la neige qui fond dans la journée rend le terrain très glissant et même les ânes peuvent glisser et chuter, ce qui est vraisemblablement arrivé à celui-ci. Nous tentons de le remettre debout, mais il ne tient plus sur ses pattes. Alexis lui place une corde autour de l’encolure et je le prends par la queue. Nous tombons tous les deux à plusieurs reprises, nous ne voyons quasiment rien et nous n’avons qu’une seule lampe frontale. Finalement après plusieurs essais nous réussissons à le hisser sur le sentier à 2 ou 3 mètres au-dessus du ruisseau, mais il est tremblant et ne tient pas debout, il doit avoir quelque chose de cassé. Nous comprenons tous les deux que n’avons plus le choix, nous devons le tuer sur place car de toute façon il est condamné et le chien ne cesse d’aboyer, les renards ne sont pas loin. Alexis sort le couteau et l’égorge, l’âne n’a pas le temps de souffrir et il est à bout de force donc tout va très vite. Il ne bouge plus, nous devons continuer la sale besogne, je lui attrape les pattes arrières pour le retourner et là je prends un coup de sabot en pleine figure, je n’ai rien vu venir, il s’agit surement des nerfs qui font que l’animal bouge encore un peu. Je me mets de la neige glacée sur la lèvre, je ne vois pas de sang couler, tout va bien. En moins d’une heure l’âne est vidé, découpé en morceaux et chargé sur le cheval, le repas des léopards est prêt pour le lendemain. Ce genre d’expédition nocturne n’est vraiment pas une partie de plaisir, mais elle fait partie du travail des rangers.

Après 10 jours dans le centre, nous reprenons la route pour tenter de filmer des oiseaux migrateurs au sud-ouest du lac. C’est la période où les oiseaux se rassemblent pour quitter la région et s’envoler vers le nord. Nous faisons plusieurs haltes où nous voyons surtout des canards et des cygnes sauvages, mais il y a une multitude d’autres espèces autochtones très intéressantes à observer. Nous profitons également d’être dans cette zone pour nous rendre auprès d’un lac salé dans la fameuse zone que nous appelons le sahara Kirghize. Nous découvrons de l’autre côté de ce lac une magnifique crique, un vrai coin de paradis surtout sans les touristes qui doivent affluer en période estivale. Nous nous approchons d’un container et de quelques pagodes qui servent de restaurant l’été et commençons à nous installer pour passer la nuit. Mais à notre grande stupéfaction, nous ne sommes pas seuls, un homme vient à notre rencontre, il semble venir de derrière les containers. A son physique nous comprenons tout de suite qu’il est d’origine russe et nous entamons la conversation. Il nous indique quelle est la meilleure place où nous mettre pour la nuit et nous invite à boire le thé, mais nous lui proposons de nous revoir plutôt le lendemain matin pour le petit déjeuner. Dès notre réveil nous voyons notre homme qui comme convenu nous emmène dans sa petite cahute en brique pour partager le thé et une bonne soupe de légumes. Il s’appelle Valodia, il a 65 ans et depuis 4 ans, il vit seul avec un chat dans un petit réduit de 9m² été comme hiver. Il a également deux chiens qui s’invitent chez lui, car ses voisins kirghizes ne les nourrissaient plus, il les appelle en rigolant ses loups Kirghizes, car ils dévorent tout ce qu’ils trouvent. Nous passons 2 jours avec ce solitaire qui nous raconte sa vie au Kirghizistan et surtout ce qu’est devenu le pays et notamment le lac depuis la chute de l’URSS. Il a presque la larme à l’œil quand il se rappelle l’époque où le lac regorgeait de poissons avant qu’un braconnage intensif, qui s’opère encore aujourd’hui, l’ait quasiment vidé. Nous n’avons d’ailleurs pas eu de difficultés à filmer les braconniers, ils ne se cachent même pas, car la corruption est telle que tout le monde ferme les yeux. Il nous explique son combat pour maintenir cette plage propre et regrette les journées de nettoyage de printemps de la période soviétique où les habitants se réunissaient pour travailler ensemble et bien sûr boire et danser. C’est pendant cette période que les russes ont tout construit autour du lac et la région était fleurissante, mais à leur départ les kirghizes n’ont pas réussi à maintenir l’activité, il est vrai que l’on peut voir dans différentes villes les ruines de cette période révolue. Valodia évoque également le retour en force de l’islam et des mosquées qui fleurissent même dans les petits villages, chose qui ne pouvait pas se faire avec l’URSS. En fait, il a décidé de rester ici pendant que ses amis russes ou plutôt Kirghizes, car la plupart se sentaient Kirghizes, partaient vers la Russie. Il ne le regrette pas même s’il ne comprend pas vraiment les changements qui s’opèrent dans le pays et qui selon lui ne présagent rien de bon pour l’avenir. Nous avons bien évidemment déjà entendu ces propos dans la bouche d’autres kirghizes d’origine russe, mais nous ne sommes pas à même de prendre position car nous n’avons bien sûr rien vu de cette période. Nous quittons finalement ce petit coin de paradis ainsi que Valodia, en espérant le revoir un peu plus tard dans la saison. En regardant, dans le rétroviseur de Totoy, nous voyons les deux loups qui nous suivent, il est vrai que nous avons eu pitié d’eux et qu’ils ont eu droit pendant ces trois jours, au pain, aux gâteaux, au porridge et même à une bonne ration de riz.

Notre dernière escale, sur la route de Bichkek est le parc national de Chon Kemin, où nous retrouvons Talaï et sa famille que nous avions rencontrés après notre intervention avec les Gruppa Bars au mois de décembre dernier. Nous avions en effet, effectué un suivi de cette équipe qui lutte contre le braconnage, notamment celui des « Bars », signifiant léopard des neiges, et qui place régulièrement des pièges photos dans ce parc pour y suivre l’évolution de la faune sauvage. Pendant cette expédition nous étions partis en altitude avec des chevaux pour récupérer des pièges photos et analyser les images. Cette région est magnifique en hiver mais la neige a rendu notre progression très difficile et l’expédition a été écourtée. Nous souhaitions rester sur place un peu plus longtemps, les Gruppa Bars étaient donc rentrés à Bichkek sans nous et Talaï nous avait proposé de nous héberger. Nous avions pu réaliser des images de chevreuils avec lui dans les montagnes avoisinantes, malheureusement sans Céline car il n’y avait pas de cheval pour elle. Au mois de janvier, il nous avait appelés à plusieurs reprises pour qu’on revienne à Chon Kemin pour le filmer dans son travail de ranger. On lui avait répondu que la réserve dans laquelle il travaillait, n’était pas le seul endroit du Kirghizistan où nous souhaitions réaliser des images et qu’on souhaitait visiter tout le pays avant de revenir.

Nous tenons donc nos promesses et arrivons à Chon Kemin où nous retrouvons Talaï. Il nous invite à nouveau chez lui, nous apportons un petit cadeau à ses deux grandes filles de 9 et 10 ans, qui sont adorables, mais malheureusement considérées comme les bonniches de la maison et qui doivent en plus s’occuper des deux derniers enfants de 2 et 3 ans. Le cadeau est un petit dictionnaire anglo-russo-kirghize et des crayons de couleurs. Talaï prend le dictionnaire comme un cadeau pour lui et les deux petits prennent les crayons de couleurs, résultat les deux grandes se retrouvent sans rien. Nous insistons pour dormir dans la voiture, ce qu’il refuse catégoriquement car il veut absolument qu’on dorme chez lui. Nous voyons venir le piège, mais nous ne pouvons pas le vexer et sommes contraints d’accepter l’invitation. Nous avons en commun avec Talaï l’amour de la faune sauvage, mais nos personnalités sont très différentes et la cohabitation est difficile. En effet, notre premier séjour chez lui ne nous a pas laissé que des bons souvenirs, car quand il nous dit que nous sommes ses invités, c’est en fait une opportunité pour que l’on se mette à son service. Totoy devient le taxi pour l’emmener à la mosquée, chez les copains et pour couronner le tout, il nous demande de l’argent pour ses cigarettes ou pour faire les courses. Quand on parle d’être hébergés, c’est en fait installer nos deux matelas par terre et essayer de trouver le sommeil pendant qu’il regarde des films jusqu’à 3 heures du matin dans sa chambre où dorment également les gamines qui doivent être les premières levées pour préparer le thé et se rendre à l’école. Nous sommes mal à l’aise et nous souhaitons partir en montagne dès le matin et dormir sur place le soir. Mais il insiste pour que l’on prenne le thé avant de partir pour en final nous expliquer qu’il doit payer aujourd’hui sa facture d’électricité pour éviter la coupure et qu’il n’a pas d’argent. On lui demande le montant et là, vu la somme qu’il annonce (30€), on pense qu’il s’agit de la facture pour plusieurs mois. Cette somme peut sembler dérisoire, mais il faut savoir qu’ici, un repas au restaurant pour deux personnes ne coûte que 3€ en campagne. Il insiste en nous disant qu’il va nous rembourser, finalement nous lui donnons la moitié de la somme car nous n’avons pas la totalité sur nous et partons vers la montagne en nous disant qu’on verra bien plus tard s’il est en mesure de nous rembourser. Heureusement nous passons la fin de matinée dans la montagne, au calme. Enfin c’est ce que nous croyons, car en début d’après-midi, alors que nous sommes en train de mettre une mèche sur un de nos pneus qui a croisé un clou sur son chemin la veille, Talaï arrive avec son cheval à l’endroit où nous bivouaquons. Il est tout excité et nous explique qu’il faut aller le filmer dans la montagne car il doit y abattre un arbre qui est tombé avec la neige. On ne comprend pas bien pourquoi un ranger aurait pour mission d’aller débiter un arbre dans un parc naturel et nous refusons tout simplement de le suivre. Nous avons un rendez-vous téléphonique important au sujet de notre film sur l’ours de Gobi et nous devons rester dans la zone où le téléphone capte le réseau. Il part seul un peu déçu et nous lui proposons de nous revoir un peu plus tard dans la soirée. Comme convenu il repasse au bivouac et nous explique qu’il n’a pu redescendre le tronc d’arbre avec son cheval car il n’y a pas assez de neige. Nous acceptons finalement d’aller chercher le tronc au petit matin car la nuit est déjà tombée.

Le lendemain matin, Totoy qui avait déjà fait le chasse neige pour ouvrir la piste au centre des léopards, se transforme cette fois-ci en engin forestier et nous redescendons ce fameux tronc de sapin jusqu’au village sous le regard étonné des voisins. Céline questionne à nouveau Talaï sur la coupe de cet arbre et il explique qu’il s’agit d’un arbre mort. Il part ensuite sur un autre sujet qui nous intéresse beaucoup plus ; la sensibilisation à la préservation de l’environnement dans les écoles. En effet, depuis notre arrivée nous avons planifié de visiter 6 écoles dans le parc national de Chon Kemin. Talaï qui ne tient jamais en place, nous dit que nous devons partir ensemble au bureau de la réserve pour rencontrer le Directeur, avec lequel nous avions déjà échangé en décembre. Mais avant cela, il nous demande de passer chez le fournisseur d’électricité pour régler la fameuse facture. Nous découvrons en fait en regardant sa facture qu’il nous avait demandé le double de la somme qu’il devait, ce qui a pour effet de nous énerver un peu plus et cinq minutes plus tard il nous demande de l’argent pour payer son paquet de cigarette. Là mon sang ne fait qu’un tour et je l’envoie balader en lui disant que nous ne sommes pas une banque et que s’il n’a pas d’argent il faut qu’il arrête de fumer. Céline s’emporte, le ton monte et nous passons à ce moment précis devant une mosquée flambant neuve, l’occasion est trop belle, « Tu peux demander à ton copain Imam qu’il t’aide car visiblement il n’a pas de problème d’argent lui, et comme tu nous l’as déjà dit, tu peux compter sur Allah pour t’aider ». Il reste sans voix et Céline lui en met une deuxième couche, « Tu as quatre enfants, tu nous dis que tu veux en avoir d’autres, alors que tu as du mal à t’en sortir. Tu vas continuer longtemps à demander de l’argent aux étrangers que tu rencontres ? De notre côté nous avons travaillé et épargné afin de voyager et nous faisons attention à tout pour poursuivre notre périple, nous avons donc besoin aussi d’argent, pour manger et pour le carburant. Nous ne t’avons rien demandé, tu nous as invité chez toi alors qu’on t’a répété à plusieurs reprises que l’on préfèrait dormir dans la voiture, donc à partir de maintenant nous dormons dans la montagne ». Talaï est visiblement très surpris par notre réaction et il nous dit qu’il veut nous aider, ce à quoi nous lui répondons qu’en faisant un film sur les rangers et la promotion de la réserve, c’est lui que nous aidons et pas l’inverse. Nous le laissons à son bureau, car le directeur n’est pas encore arrivé et nous souhaitons être tranquille, sans l’avoir sur notre dos.

Nous ne sommes pas vraiment surpris par le comportement de Talaï, car ici, comme dans de nombreux pays, les touristes donnent de l’argent en se disant que c’est ponctuel, que c’est une petite somme et qu’il est gênant de refuser. Mais ils oublient que d’autres touristes vont passer après eux et qu’il seront vus comme une nouvelle manne financière. Notre comportement peut paraître brutal, mais si on dit oui à tout, il n’y a plus de limites et nous ne sommes plus respectés.

D’ailleurs, notre réaction a eu un effet bénéfique, puisque Talaï a par la suit changé son comportement et nous sommes repartis sur de nouvelles bases avec lui, mais nous attendons tout de même de voir s’il n’oubliera pas de nous rembourser. La somme n’est pas un problème en soi, mais c’est une question de principe, il ne faut pas que les autochtones voient les européens comme une manne financière, sinon les rapports amicaux deviennent difficiles à cause de ce rapport à l’argent.

Suite à ce petit recadrage, nous avons engagé ce pour quoi nous étions revenus à Chon Kemin, c’est à dire la visite de six écoles pour présenter notre projet et surtout sensibiliser les plus jeunes à la protection de la faune et de la flore. Nous sommes très agréablement surpris de voir que les écoles ne manquent pas de moyens, car il y a des ordinateurs et même parfois un vidéo projecteur. Nous faisons notre première présentation dans l’école où se trouvent les filles de Talaï, où nous diffusons nos différents films en russe et abordons les problèmes de braconnage avec les ours et les léopards, les déchets que l’on trouve un peu partout dans le pays et la coupe illégale de bois dans les zones protégées. Céline assure toutes les explications en russe et Talaï traduit en Kirghize. Dans toutes ces écoles, nous constatons que les élèves n’ont jamais vu de léopards et n’ont que très peu d’informations à leurs sujets. Nous recevons à chaque fois un accueil très chaleureux et assistons à des danses traditionnelles et des concerts de Komuz (Guitare à 3 cordes) avant de faire danser les élèves et les professeurs sur la musique de DJ Assad, comme nous l’avions déjà fait en Mongolie dans le parc de Hustai. Après cette semaine bien remplie, nous recevons les félicitations et remerciements du Directeur de la réserve pour notre implication au côté de Talaï et sommes cordialement invités à revenir pour découvrir la réserve au printemps et en été. Nous devons maintenant reprendre la direction de Bichkek où nous avons entamés d’autres projets.

En redescendant de notre bivouac dans la montagne, nous passons saluer Talaï qui nous demande si nous n’oublions rien avant de partir, ce à quoi Céline lui rétorque en le regardant droit dans les yeux : « Et toi, tu n’oublies rien ? », mais vous imaginez bien sûr la suite, il n’a pas l’argent...