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CHINE

Laos
Chine

La nuit a été glaciale (-10°C) et nous avons un peu de mal à nous réchauffer dans notre Totoy dont les vitres givrées, nous permettent à peine de distinguer les bâtiments du poste de douane kirghize à Torugart. Nous sommes le 29/09/2015, au bord du lac Chatyr-Köl à 3500 mètres d’altitude et ce soir, nous dormirons en Chine, enfin si les douaniers kirghizes nous laissent sortir du pays. En effet, nous aurions dû sortir deux jours auparavant, mais la frontière chinoise étant fermée depuis plusieurs jours, nous sommes donc en retard et apparemment les amendes à ce poste de douane sensible à la porte de la Chine, ne se négocie pas (jusqu’à 500$ par personne et par jour de retard). Nous avons donc anticipé la négociation auprès d’un haut gradé à Naryn, qui par chance, connaissait bien les rangers avec lesquels nous avons organisé les expéditions écovolontaires de cet été. Mais lorsque nous arrivons devant le douanier, il nous fait patienter et refuse de tamponner le passeport, malgré les instructions de sa hiérarchie. Nous sommes maintenant seuls avec lui et nous comprenons qu’il souhaite un bakchich pour apposer le tampon. Nous ne prenons pas le risque de refuser comme nous le faisons d'habitude, et lui glissons un billet. Il tamponne sans un mot et nous rejoignons le groupe qui nous attend pour entrer en Chine. En effet, pour cette traversée de la Chine et du Tibet, nous nous sommes greffés à un groupe de voyageurs, afin de réduire les frais. Pour ce périple de 36 jours qui nous permettra de rejoindre le Laos, nous serons en permanence accompagnés d’un guide qui voyagera dans les véhicules du groupe. Nous n’aurons malheureusement aucune opportunité de prospecter en Chine et au Tibet afin de trouver des associations de protection de la faune et de la flore. Cette étape est donc pour nous une transition dans notre projet écovolontaire.

Nous passons le 1er poste frontière chinois très rapidement et les douaniers regardent à peine les véhicules. Nous parcourons ensuite 100 km avant d’arriver au poste de douane définitif où nos passeports sont tamponnés. Nous sommes surpris de la simplicité des démarches sur place, mais il est vrai que l’agence prépare notre entrée en Chine depuis trois mois. Dès la première ville Ouïghour avant Kashgar, nous sommes surpris par la densité de la population et croisons des centaines d’écoliers sur leur scooter. Les villes et villages sont propres et tout nous semble très bien organisé. Notre premier bivouac sur un parking d’hôtel débute par un apéritif qui nous permet de faire connaissance avec les membres de l’équipe : Lucile et Michel avec leur Fiat Ducato avec lesquels nous avions passé plusieurs bonnes soirées au Kirghizstan ; Pierrette et Denis avec leur Land Rover 130, Charlotte et Xavier avec leur Renault Master 4x4, Lucie et Raymond, les doyens suisses avec leur Toyota RAV4, Iolanda et Sergi, les catalans en Mercedes et enfin les polonais Anna, Lukasz, Damian et Maciej avec leur moto.

Dès le lendemain matin, nous partons en périphérie de Kashgar pour obtenir nos permis de conduire et nos plaques d’immatriculation chinoise. Il s’agit d’un grand centre de contrôle technique où nous passons la matinée dans la file d’attente. Les locaux nous laissent passer en priorité alors qu’ils doivent parfois rester jusqu’à une semaine sur place pour finaliser les démarches du contrôle technique annuel de leur véhicule. Ils sont très surpris de découvrir les installations de nos différents véhicules, les visites du Fiat Ducato de Lucile et Michel s’enchaînent pendant que nous cuisinons à l’arrière de Totoy avec cinq Ouïgours regardant au-dessus de nos épaules ce que nous préparons comme petit plat. Finalement, nous récupérons les plaques et les permis de conduire à 10h du soir sur le parking de l’hôtel.

Kashgar est réputé pour sa vieille ville et ses bazars, où on trouve tous les produits de consommation courante, des artisans travaillant le bois et le métal et des échoppes de médecine traditionnelle, proposant toute sorte d’animaux séchés (serpents, lézards, crocodiles, étoiles de mer, hérissons, cornes diverses,…). Dans cette région, les ouïgours qui sont musulmans tentent de garder leur identité mais le « rouleau compresseur chinois » est en marche et les anciens quartiers laissent place à des buildings qui fait disparaître inexorablement l’âme de cette ancienne ville étape de la route de la soie.

Nous prenons la direction de Yecheng sur une route en très bon état dans cette zone désertique où un brouillard permanent qui semble être du sable en suspension, nous permet seulement d’imaginer ce que peut être l’immensité du désert de Takla Makan. Les paysages changent et nous découvrons alors les plantations de coton, les champs de maïs et de carottes et admirons les tapis multicolores de piments qui sèchent devant les habitations. La ville ne présente pas vraiment d’intérêt et une petite visite nocturne avec Denis et Pierrette sur un grand boulevard désert, où les immeubles flambant neufs sont vides, nous donnent l’impression d’être dans une ville fantôme en attente d’habitants. La seule activité du quartier où nous passons est une succession de petites boutiques aux éclairages roses où les prostituées attendent le client devant des écrans de télé qui semblent ne jamais s’éteindre.

Nous quittons la ville avec nos autorisations d’entrée au Tibet en poche et apercevons les derniers chameaux dans ces paysages arides qui laissent progressivement place à des montagnes avant de passer notre premier col à 3300m. Des vautours de l’Himalaya tournent au-dessus de nos têtes, il n’y a pas de doute, nous arrivons sur leur territoire où les hauts plateaux et les pics enneigés semblent provoquer les étoiles.

Nous continuons notre progression après une halte à un check point militaire nous indiquant que nous approchons du Tibet. Des « blue sheep » broutent calmement au bord de la route, pas du tout effrayé par notre convoi en route vers un col à 4969 mètres, proche du mont K2 (8611m). Le passage de ce col, permet à chacun de voir comment son véhicule se comporte à une telle altitude. Finalement, notre crainte est confirmée, le Ducato de Lucile et Michel se met en sécurité, mais ils arrivent tout de même à basse vitesse jusqu’au col. Visiblement, le problème de vanne EGR qui pollue (sans mauvais jeu de mot) leur voyage depuis la Palmyre Highway. Les autres véhicules passent sans difficulté, seuls les conducteurs et passagers commencent à ressentir les premiers effets de l’altitude (maux de tête, gorge sèche…). Nous arrivons de nuit dans le minuscule village de Mazar, un petit apéro et une soirée très sympa dans le land de Pierrette et Denis pour leur anniversaire de mariage.

Les jours suivants sont une succession de routes en très bon état, les paysages tibétains sont grandioses et la faune sauvage s’offre à nos objectifs : gazelles à goitre, oryx, ânes sauvages, oies à tête barrée (seul oiseau au monde capable de traverser la chaîne Himalayenne pour migrer), tadornes, grues cendrées, vautours de l’Himalaya, Gypaètes… Nous suivons la chaîne de l’Himalaya avec des dizaines de cols flirtant avec les 5000m, le plus haut étant précisément de 5378m. Le temps est sec et les températures sont agréables en journée à notre grand étonnement. Les check-point militaires sont très nombreux, mais nous n’avons jamais de problème, car notre guide tibétain est très efficace. Certaines étapes entre deux check-point doivent être réalisées en un temps prédéterminé, et il est fortement déconseillé d’arriver en avance sous peine d’amende. Nous traversons également une zone militaire d’environ 80km à proximité du Pakistan où il est interdit de s’arrêter et de prendre des photos. Depuis notre entrée dans le Xinjiang et au Tibet, nous sentons que la zone est sensible, nous voyons régulièrement des véhicules anti-émeutes dans les villes, des convois militaires impressionnants (jusqu'à 60 véhicules en file indienne) et toutes les stations service sont protégées par d'énormes herses ainsi que des vigiles ou militaires. Il est interdit de transporter des jerricans remplis de carburant dans les véhicules.

A notre arrivée au Mont Kailash qui culmine à 6714m, nous apprenons avec dépit qu’il faut payer 60 euros pour nous deux pour accéder au lieu sacré. Depuis notre passage au Tibet en 2006, nous constatons que les chinois ont transformé tous les lieux naturels, les lieux sacrés et les monastères en zones touristiques où les prix sont exorbitants. Ces derniers qui ont détruit des monastères pendant de nombreuses années, sont maintenant en train de les reconstruire pour attirer toujours plus de touristes chinois. Nous décidons tout de même de réaliser une marche (16km aller-retour à 4900m d’altitude) où nous rencontrons des pèlerins et des moines au pied de ce mont sacré. En effet, c’est dans ce lieu que se rassemblent chaque année des milliers de bouddhistes, hindous, Bön-Po et Jains venus priés en effectuant au moins une fois le tour du Mont Kailash (52km) afin de se rapprocher du nirvana. Nous découvrons également une esplanade où des ossements humains jonchent le sol au milieu de détritus en tous genres. C’est en fait un cimetière à ciel ouvert où les tibétains brûlent des corps sous l’œil attentif des vautours de l’Himalaya.

Nous reprenons notre route en direction du Mont Everest et découvrons avec étonnement des dunes de sable comme posées au milieu de ces vallées immenses perchées à 4700m à proximité de l’Anapurna (Népal). Le soleil est en train de disparaître derrière les montagnes et nous avons la chance de voir la face nord en forme de « A » du Mont Everest à 8848m.

Nous avons déjà eu l’occasion en 2006 de nous rendre au camp de base de l’Everest et d’y passer la nuit. Mais la situation a bien changé, car maintenant la route est entièrement goudronnée et un péage est en place (~82€ pour une voiture et 2 personnes). Nous essayons d’éviter cette étape et de partir seuls dans les villages avoisinants. Notre but est simple, approcher les tibétains et tenter de se faire inviter dans une maison afin de mieux comprendre leur mode de vie. Nous réussissons à utiliser la charrue tirée par deux yacks, mais rapidement le villageois nous demande de l’argent, nous refusons, cela commence mal… Nous décidons de nous garer au milieu d’un village et cuisinons à l’arrière de Totoy. Les habitants sont rares, et les quelques-uns que nous apercevons nous saluent de loin, mais aucun ne nous approche. Nous nous éloignons un peu plus dans les terres et arrivons dans un village en partie détruit par le tremblement de terre du printemps dernier. Nous préparons le café que nous proposons à des femmes assises sur le trottoir, mais elles refusent d’en boire. Elles nous invitent à nous asseoir à leurs côtés pour tenter d’échanger quelques mots ou plutôt quelques gestes. Des enfants se joignent à nous, la séance photo peut commencer. Une jeune femme s’installe à côté de nous et une plus ancienne fouille sa chevelure pour tuer les poux. J’enlève ma casquette pour lui montrer que je n’ai pas beaucoup de risque d’en attraper et tout le monde rit de bon cœur. Une vieille femme nous demande de l’argent pour qu’on la prenne en photo, une gêne s’installe et nous décidons de reprendre la route en direction de sources d’eau chaude. Arrivés sur place, l’odeur d’urine est difficilement supportable et nous rentrons tout de même dans l’enceinte d’une sorte d’hôtel pour voir les bains. Le spectacle est très surprenant, les femmes sont nues et se lavent en nous saluant, alors que les hommes gardent un maillot de bain en se relaxant dans cette eau sale. Nous ne sommes pas à l’aise et n’avons pas le courage de nous plonger dans ce « bouillon de culture ». Finalement, nous ne savons pas trop quoi penser de cette journée : est-ce que la barrière de la langue est un problème, est-ce que les tibétains ont peur d’échanger avec les étrangers, ou est-ce que leur culture n’est pas d’accueillir les visiteurs comme on a pu le voir dans d’autres pays d’Asie ?

A Shigatse, l’activité touristique tourne autour de l’immense monastère. Une fois de plus, nous sommes énervés de découvrir le tarif du billet d’entrée à 12€ par personne. Nous rentrons sans payer. Les lieux sont magnifiques et nous pouvons y voir le plus grand bouddha d’Asie à l’intérieur d’un temple. Par contre, nous sommes choqués et écoeurés de voir les moines assis devant des bassines entières de billets en train de compter leur butin, la calculatrice à la main. C’est dans cette ville que les chinois ont décidé de reconstruire le Potala en 2007, signe évident que la religion peut parfois rapporter gros.

Nous sommes maintenant très près de la capitale Lhassa où nous arrivons en fin de journée en empruntant une autoroute très récente qui nous conduit vers le centre-ville. Lhassa a perdu son authenticité et les chinois ont tout transformé pour en faire une agglomération moderne. De notre côté, nous avons encore en tête les images de Lhassa 10 auparavant et le constat est alarmant. Des rues entières et des quartiers ont été rasés, des postes de police et des checkpoint quadrillent le centre historique. Les boutiques de souvenir ont pris la place des échoppes des petits artisans. Et le prix d’entrée au Potala est une véritable arnaque : 50€ par personne. Les chinois ont gagné, grâce à la lâcheté de la communauté internationale, le retour en arrière est maintenant impossible pour les tibétains. Leurs lieux de prière ont pris une dimension folklorique. Le Potala qui est inscrit au Patrimoine mondial de l’Unesco est maintenant assimilé à un simple musée. La grande majorité des commerces appartiennent à des chinois qui représentent 70% de la ville. Que reste-t-il du Tibet ?

Ce soir, c’est la fête, nous partons avec notre guide Darghye, Xavier, Maciej et Damian dans un grand bar à spectacle. Il s’agit de chants et de danses tibétaines où la coutume est de remplir la table de bières et bien sûr si possible de les boire. Les chinois des tables voisinent, n’hésitent pas à venir trinquer et à se prendre en photo avec nous. C’est d’ailleurs devenu une habitude pour nous de poser à côté des chinois sur le bord des routes, au sommet des cols ou dans les villages. Les chinois nous adorent et nous avons l’impression d’être des stars harcelés par leurs fans. L’ambiance est festive quand tout à coup, le spectacle s’interrompt et les spectateurs envahissent la piste. Une grande majorité de tibétains dansent tous ensemble (avec des coiffures à la « Dragon Ball Z ») sous les yeux des vigiles prêts à intervenir en cas de débordement. Mais les risques sont faibles, car les tibétains sont très timides et appliqués à coordonner leurs pas de danse qui ressemblent un peu à de la country. Céline saute partout sur la scène en oubliant presqu’on est à 3700m et elle s’essouffle très vite. Les autres tibétains restent impassibles et leurs regards étonnés nous fait beaucoup rire. La soirée est déjà bien avancée et nous décidons de la poursuivre dans une boite très branchée, où la techno nous plonge dans un univers plus familier pour les européens que nous sommes. Le bruit est insupportable pour Céline et moi et nous nous réfugions dans une salle un peu plus calme à l’entrée de la boite. Nous assistons à un défilé de jeunes chinois branchés, qui visiblement ont un pouvoir d’achat supérieur au nôtre. Nous ne sommes pas vraiment dans notre élément et finalement, nous retrouvons les autres qui ont rencontré des chinoises qui souhaitent nous inviter à manger, il est 4h du matin. Nous sautons dans un taxi et arrivons dans un petit restaurant où l’on nous sert la spécialité : le poulet noir. Nous rigolons en découvrant que même la tête baigne dans le bouillon placé au milieu de la table. Les chinoises sont hystériques, elles poussent des cris, une tape sur son copain, une autre passe la commande d’alcool de riz en criant plus fort que ses copines, la scène est invraisemblable. La nourriture est tellement épicée que nous avons du mal à manger autre chose que du riz. Nous nous regardons tous les 6 en nous demandant ce qu’on fait autour de cette table ronde et comment va se terminer ce repas, alors que les chinoises continuent à crier et à rire. Puis une d’entre elle sort l’équivalent de 90€ et nous comprenons que nous allons quitter ce brouhaha. Nous les accompagnons à leur taxi et apprécions quelques instants le silence avant de monter à 6 dans un autre taxi où le chauffeur crie pour que l’on ressorte. On insiste lourdement, nous sommes tous bien alcoolisés, mais on a l’impression qu’il va se mettre à pleurer. On a du mal à s’arrêter de rire et finalement on trouve un autre chauffeur de taxi qui trouve cela plutôt marrant et accepte de nous ramener au parking de l’hôtel où nous bivouaquons. Nous avons découvert pendant cette soirée une autre facette de Lhassa qui prouve bien que la ville est en pleine mutation et que même si les cultures tibétaines et chinoises sont différentes, la manne financière que représentent les touristes (essentiellement chinois) pourraient bien les mettre d’accord sur de nombreux points.

Nous quittons Lhassa à la découverte du Tibet oriental, où le paysage désertique et aride laisse place à des forêts de conifères. Nous avons maintenant avec nous un deuxième guide, le gouvernement vient de renforcer les mesures de « sécurité » et nos guides nous expliquent que nous allons devoir dormir dans des chambres d’hôtel. Jusqu’à présent, nous nous étions contentés d’un simple enregistrement dans des hôtels référencés et à la police, et nous pouvions toujours dormir dans notre véhicule. Mais l’ensemble du groupe est bien décidé à ne pas respecter cette règle (30€ par chambre et par nuit est hors budget). Finalement notre guide Darghye, ne nous laissera pas tomber et nous dormirons systématiquement dans notre véhicule jusqu’à la fin de notre séjour.

Sur le bord des routes, nous voyons de nombreux tibétains qui se dirigent vers la capitale. Ils font trois pas, puis s’allongent au sol en joignant les mains au-dessus de leur tête, se relèvent pour avancer à nouveau de trois pas et ainsi de suite. Ces pèlerins partent de leur maison pour cette marche de plusieurs semaines, voire plusieurs mois, pour rejoindre le temple Jorkhang de Lhassa. Nous sommes très impressionnés par leur détermination, car ils vont devoir passer plusieurs cols à plus de 4000m avec leur petite besace en sandales, ou pieds nus. Nous croisons également beaucoup de cyclistes sur la route et apprécions encore un peu plus le minimum de confort que nous avons dans Totoy. Les yacks domestiques font partie du paysage depuis notre arrivée au Tibet. Par contre, nous n’avons pas eu la chance d’apercevoir des yacks sauvages. Ils sont beaucoup plus massifs, les tibétains disent qu’ils peuvent être dangereux mais ils vivent dans des zones reculées où l’homme s’aventure peu.

Céline veut depuis le début du séjour boire du lait de yack frais. Mais le guide nous dit que les villageois en ont peu et qu’ils n’en vendent pas. Nous profitons que le groupe soit éclaté entre deux villes étapes pour emprunter une piste qui nous mène vers une petite habitation en pierre ressemblant à une bergerie. Un homme et une femme d’un certain âge vivent dans ce petit réduit de pierres avec des chiens, des chats et par chance, les yacks que nous apercevons au bord de la rivière leur appartiennent. Ils ont les cheveux très longs, nous apprendrons ensuite qu’on les appelle les Kambas. Nous communiquons par geste et ils nous apportent du lait frais, du fromage et de la poudre d’arachide. Pour éviter tout rapport à l’argent, nous leur donnons des galettes de pain. Nous créons toujours des échanges pour éviter que les personnes que l’on rencontre associent les touristes à des billets de banque. Assis sur un vieux pneu, nous les regardons se laver les cheveux, puis leur proposons de prendre quelques photos, mais ils refusent. Nous repartons ravis de ce contact, certes limité, mais qui nous a permis d’être un peu plus au contact du peuple tibétain, si discret et distant.

Plus nous avançons vers Shangrila, qui est la dernière grande ville du Tibet avant d’entrer au Yunnan, et plus les paysages changent, gorges profondes où nous découvrons des routes très sinueuses longeant des ravins vertigineux. Raymond qui ouvre la route avec son RAV4 nous fait rire en nous disant que nous allons traverser la Suisse tibétaine et c’est vrai que la ressemblance est frappante. Nous faisons une halte dans une église catholique, c’est très étrange, peut-être que les vignes de la région fournissent un bon vin de messe aux curés…

A Shangrila, nous passons nos dernières heures au Tibet et nous ne voyons que très peu de tibétains. La vieille ville est en reconstruction car un incendie a quasiment tout détruit début 2014. Nous récupérons notre guide chinois, Mr Wang, avec lequel nous allons traverser le Yunnan. Notre première étape nous amène aux fameuses gorges du saut du tigre que nous atteignons après une longue journée de route de montagnes à travers les cultures en terrasse. Le Yunnan est pour nous, synonyme de liberté retrouvée car nous pouvons à nouveau bivouaquer où bon nous semble et tout cela sans guide. Nous trinquons donc avec Lucile, Michel, Pierrette et Denis autour d’un barbecue improvisé. Nous rejoignons ensuite la vieille ville de Lijiang puis celle de Dali, son lac, ses rizières et ses trois pagodes, mais après avoir traversé le Tibet, tout ça nous paraît bien fade et nous avons tous un petit coup de blues.

Une escale technique, où nous pourrons vérifier les véhicules, est prévue dans la grande ville de Kunming. Pierrette et Denis sont de notre avis, nous n’avons jamais pris l’autoroute jusqu’à présent et nous sommes donc tous les quatre motivés pour rejoindre Jianshui par la route nationale en évitant Kunming. La route que nous empruntant n’est pas très bonne et les zones de travaux sont fréquentes. Nous roulons difficilement à 30 / 40km/h de moyenne au cœur d’une végétation très dense, car nous rentrons petit à petit dans une zone tropicale. Sur la route, nous trouvons très facilement des bananes, mais également des fruits du dragon de couleur fuchsia, un véritable régal pour les yeux et le palet. Nous sommes bien organisés avec Pierrette et Denis et trouvons assez facilement des bivouacs sympa et calmes au moins pour celui auprès d’un cimetière en pleine forêt…

A Jianshui, nous apprenons que Lukasz a percuté un scooter avec sa moto. Il n’y a pas de blessé, il doit acheter une nouvelle jante ou la réparer et trouver un pneu. Une partie du groupe reste sur place une journée de plus au cas où nous devrions remorquer sa moto jusqu’à la frontière. Il est impératif de sortir avec son véhicule afin de récupérer les 4000€ de caution versés à la douane chinoise. Finalement, tout rentre dans l’ordre, il roule avec une jante voilée et en ne dépassant pas les 40km/h, il pourra rejoindre le Laos.

Après cet incident, le groupe est un peu dispersé, mais de notre côté, nous continuons à emprunter les petites routes nationales avec Pierrette et Denis qui transportent le guide. Mr Wang est à nos petits soins et nous passons deux jours très sympa avec lui. La route est un peu boueuse par endroit car il pleut beaucoup, mais nous ne trouvons aucune difficulté avec Totoy et le Land 130. Mr Wang nous fait découvrir un village au milieu des bambous, des plantations de thé et de bananes où les autochtones ont un langage méconnu des chinois. Une école a d’ailleurs été construite pour que les plus jeunes apprennent le mandarin. Nous goutons un thé très spécial récolté dans les arbres et découvrons avec Denis (un retraité de chez Michelin), les plantations d’hévéa qui dégagent une odeur très spéciale. Les arbres sont saignés et la sève blanche (latex), molle et élastique, est laminée avant d’être transportée par camion dans des usines qui la transformeront en caoutchouc. Dès que nous sortons de la voiture nous avons de l'énergie à revendre et ne ressentons aucune fatigue lorsque nous nous mettons à courir, car après avoir passé 3 semaines au-dessus de 3000m d'altitude, nous avons fait le plein de globules rouges.

Le 3 novembre 2015 au matin, après avoir parcouru 6500km depuis notre entrée en Chine, nous effectuons les formalités douanières en moins d’une heure. Les douaniers ne nous demandent même pas d’ouvrir notre véhicule. Nous saluons une dernière fois Mr Wang et dans quelques minutes nous serons au Laos.

2006

En août 2006, après nos séjours en Corée et au Japon, nous nous sommes rendus en Chine. Nous ne pouvions pas imaginer qu'il existait une telle différence entre ces trois pays. En effet, passer de la sérénité, du raffinement, et de la subtilité au brouhaha, la crasse, et la grossièreté est un choc difficile à comprendre pour un européen, persuadé que tous ces pays ont la même culture. La Chine apparaît comme un pays où les dirigeants tiennent le peuple par le communisme tout en profitant du système capitaliste pour s'enrichir. Cela a pour effet de créer des différences sociales énormes et nous constatons très rapidement que les seuls chinois que nous connaissons n'ont aucune envie de parler de politique en public.

A Beijing, l'ambiance est triste le soir, surtout en voyant la place Tiananmen déserte et contrôlée par l'Armée à 22h30. En allumant la télé dans la chambre d'hôtel, on peut voir des spectacles mettant en scène le patriotisme chinois. La cuisine chinoise que nous trouvons en France n'a rien à voir avec ce que mangent les chinois. C'est d'ailleurs la première fois que nous avons pris du plaisir à manger un Big Mac qui nous semblait moins gras et qui nous a fait oublier les diarrhées que nous avions eues en mangeant la cuisine locale. La ville de Shanghai avec le Bund (quartier d'affaires) est l'exemple même de la prospérité chinoise et pourtant, derrière cette façade, la misère grouille dans des quartiers insalubres d'où se dégagent des odeurs indescriptibles. Le marché noir est omniprésent et les objets de luxe contrefaits envahissent les rues.

Il nous a été très difficile de poursuivre notre voyage, car l'obtention d'un permis pour le Tibet est un véritable calvaire, surtout quand les agences de voyages disent ne pas être au courant de l'existence de ce document. Finalement, après plusieurs déplacements inutiles, nous avons trouvé une agence pouvant nous délivrer un permis : 490$/personne, comprenant un aller simple de Chengdu à Lhassa, une chambre d'hôtel, une entrée au Potala palace et un guide anglophone. L'arrivée en avion au-dessus de l'Himalaya à l'aéroport de Lhassa était fabuleuse avec des paysages à couper le souffle. Par contre, une mauvaise surprise nous attendait à l'aéroport, car il n'y avait pas de guide pour nous recevoir. Nous prenons le seul bus qui parcourt les 65 kms qui séparent l'aéroport de la ville.

Le long de la route était bordé de panneaux publicitaires chinois. Toutes les propriétés doivent avoir le drapeau chinois. Sans guide, nous avons dû trouver nous même une auberge de jeunesse pour nous accueillir. Dès notre première soirée, nous ressentons une atmosphère assez malsaine : la place du Potala qui était auparavant un lac s'est transformée en une plaque de béton gardée par l'armée chinoise. Les Tibétains sont minoritaires sur leur propre territoire. Le Tibet est en effet peuplé de plus de 60% de chinois et ces derniers détiennent les métiers les plus prospères (commerçants, banquiers...) tandis que les tibétains travaillent essentiellement dans le bâtiment ou autre travail physique. Les monastères ont pour la plupart été détruits. Au Tibet, tout est différent de la Chine : la culture, la langue, la nourriture, la religion, l'architecture, le comportement des gens... comment peut-on penser que ce territoire soit chinois ?

Nous avons continué notre parcours par l'Everest, le sud de la Chine avec ses rizières (Langshen, Yangshio, Gulin, Canton, Hong-Kong et Macao. Hong-Kong a conservé sa frontière avec la Chine. En effet, il ne faut pas dire à un habitant de Hong- Kong qu'il est chinois, il dira qu'il est "Hong-Kongais".

Le tableau de la Chine que nous vous dressons peut vous paraître exagéré, même si nous n'avons pas pu énumérer toutes les mésaventures et déconvenues que nous avons eues lors de ce voyage, mais il correspond à la vraie chine, loin des voyages organisés qui vous montrent uniquement la façade en masquant l'envers du décor.